Je cherche à améliorer ou diversifier mes modes d’intervention en entreprise. Dans ce cadre, j’explore des méthodes différentes et applicables en PME. Aujourd’hui, je vais présenter le Design Thinking, une méthode pour transformer une idée en quelque chose de viable. Cette méthode est applicable aussi bien à un produit, un service, qu’à un choix organisationnel ou la définition d’un espace. Elle peut servir au secteur marchand ou non marchand.  

Le design thinking, qu’est-ce que c’est ?

Ma définition préférée est celle de Jeanne LIEDTKA, de la Darden School à l’université de Virginie, conceptrice du Mooc Design thinking  et auteure de plusieurs livres en anglais sur le sujet.

Une démarche itérative en 4 questions / étapes

Le design thinking est une approche itérative de résolution de problème qui pose 4 questions focalisées sur l’identification de possibilités (hypothèses) de solutions.
Design thinking for advocacy

Les 4 questions sont (notez que si vous avez une idée de traduction qui garde le côté « claquant » de l’originel, je suis preneuse !) :

  • What is ? Quelle est la situation, la réalité ?
  • What if ? Et si ? Quel nouveau futur pouvons-nous imaginer ? Quels scénarios pouvons-nous envisager ?
  • What wows ? Qu’est-ce qui est enthousiasmant ? Quels sont les meilleurs choix ?
  • What works ? Parmi les choix précédent, qu’est qui fonctionne dans le monde réel ?

Ces questions sont menées l’une après l’autre mais de manière itérative : après un premier tour de « what works », on ajuste le « what is » avec ce que l’on a appris et on recommence si nécessaire.

Et chacune des question commence par une phase divergente (on imagine, on crée) suivie d’une phase convergente (on trie parmi les idées).

Une façon différente de penser et faire le changement ou l’innovation

Dans l’approche traditionnelle du changement ou de l’innovation, nous adoptons une démarche « rationnelle », fondée sur des données et sur la logique. Nous cherchons une (et une seule) vérité ou solution. Nous procédons avec ordre, avec des certitudes. Et le plus souvent ceux qui pensent le changement sont des experts : la hiérarchie ou des personnes aux fonctions bien définies. C’est une approche que l’on pourrait qualifier de technique puisqu’elle part d’une (voire quelques) discipline pour élaborer une nouvelle organisation, un nouveau produit ou un nouveau service. C’est comme cela qu’on a créé le Concorde (dont tout le monde s’accorde à dire que c’était une prouesse technologique, mais un échec commercial) ou que les administrations créent les formulaires incompréhensibles pour les usagers qui doivent les remplir. On peut cependant créer des solutions qui marchent avec cette approche « rationnelle », mais uniquement lorsqu’on est dans un contexte parfaitement connu, sans incertitudes.

Depuis plus de 20 ans, on observe que les projets (lancements de nouveaux produits ou services, transformations) échouent souvent. La gestion de projet a évolué pour réduire les inconvénients liés aux « silos » : on met maintenant ensemble des représentants de plusieurs services (les silos) dans une même « ruche » et on leur demande de coopérer pour concevoir des nouvelles solutions. C’est ainsi qu’a été conçue la Smart de Renault, dont plusieurs exemplaires figuraient à l’exposition du Design en France au Grand Palais. Cette méthodologie de gestion de projet moderne permet d’aller plus vite et de concevoir mieux une solution qui sera réalisable dans les objectifs de coûts initialement prévus. C’est un progrès indiscutable mais qui reste une affaire de techniciens et ingénieurs.

Depuis plus de 10 ans, on voit se développer une autre approche, le design thinking. Sa spécificité est de se focaliser sur les usages. Ainsi le fameux iphone d’Apple n’est pas une innovation technologique mais une innovation d’usages : les briques technologiques étaient toutes connues, c’est leur assemblage qui est révolutionnaire puisqu’il a permis de produire des utilisations très innovantes pour le client.

Et le design thinking, ou pensée design, est effectivement une façon de penser très différente :

  • la démarche est centrée sur l’humain puisqu’on va explorer les vies et les problèmes rencontrés par les utilisateurs auxquels nous voudrions apporter de la valeur ;
  • Les interactions avec les utilisateurs utilisent des méthodes plutôt qualitatives (très peu quantitatives) et les participants pratiquent l’empathie, ce qui crée de l’enthousiasme et de la co-création ;
  • On ne cherche pas UNE solution, mais DES scénarios, des possibles, des hypothèses de travail. On prévoit d’avoir tort souvent et donc de tourner en boucle pour générer de nouvelles idées, identifier ce qui enchante et tester ce qui fonctionne.

Le résultat est toujours très pertinent car la méthode permet de se mettre au centre de trois impératifs :Design Thinking : désirabilité, viabilité et faisabilité

  • Désirabilité : le résultat doit être conformes aux désirs des utilisateurs, mais aussi de tous ceux qui seront impliqués de la production à la vente, voire au recyclage ou la réutilisation ;
  • Viabilité : le résultat doit être durable, il apporte de la valeur aux utilisateurs à un coût qui permet à la structure (entreprise, collectivité, association) de vivre longtemps avec ;
  • faisabilité : le résultat doit être faisable avec les moyens disponibles ou prévus.

C’est ainsi que le VELIB n’est pas simplement un vélo. C’est un ensemble (vélo, borne, positionnement des parcs, gestion des abonnements) qui a été pensé pour les utilisateurs pour répondre à leurs véritables besoins, tout en étant économiquement viable pour l’entreprise et faisable techniquement. Plus que des objets ou fonctions, c’est un ensemble conçu pour vivre autrement la ville et la mobilité en ville.

Pourquoi ça m’intéresse beaucoup ?

Ca fait déjà 5 ans que je m’intéresse à ce sujet dont je pressentais l’intérêt au delà de la création de produits nouveaux. Après tout, mon centre d’intérêt principal est l’organisation des entreprises, pas le développement de produits.

Je suis certaine que c’est une méthode qui a beaucoup d’avantages pour aider à penser autrement les produits et services d’une entreprise. Je pense que, bien utilisée, la démarche permettra aussi de générer des changements bien vécus par tous quant à l’organisation interne.

Par exemple, chez un de mes client, dans le cadre d’une démarche lean management, quelques salariés se sont rendus chez deux clients (restauration collective) pour mieux comprendre ce dont ils avaient besoin. Au départ, il s’agissait simplement d’aller découvrir comment étaient utilisés les produits fabriqués par l’entreprise. La suite s’est déroulée spontanément (je ne suis pas intervenue) et me paraît assez « magique » :

  • les salariés sont revenus avec la certitude que leurs produits n’étaient pas exactement ceux dont avaient besoin ces deux clients ;
  • Ils ont proposé à ces deux clients d’essayer des échantillons de deux produits développés mais non commercialisés. Ils avaient l’accord de la direction (et son soutien sans faille) et des commerciaux (qui ne sont pas intervenus)  et du distributeur qui s’est montré très intéressé par la démarche ;
  • Les deux clients ont essayé les produits et ont fait part de leurs remarques.
  • Un des deux produits a été commercialisé presque immédiatement : le distributeur était partant puisqu’il avait lui aussi entendu les voix des clients.
  • Fort de leur succès, les salariés ont poursuivi leurs visites et font des observations de plus en plus précises, en se mettant de plus en plus à la place de leurs clients. Ils ont par exemple récemment fait part de certaines observations qui devraient modifier la vision du « conditionnement que veulent les clients ».

Ce qui me paraît « magique », c’est qu’il faut très peu de moyens pour faire cela. Il suffit de soutenir des personnes qui au départ n’ont pas beaucoup confiance dans leur capacité à avoir des idées puis elles apprennent en faisant, en se confrontant à la réalité des utilisateurs de leurs produits. Un petit groupe de personnes de « production » se trouve ainsi en capacité de produire des idées nouvelles porteuses de valeur pour les clients, l’entreprise et elles-mêmes et leurs collègues.  

Quels sont les avantages du Design Thinking ?

Je pense que le principal avantage est qu’il permet de penser autrement, sans peur, et même avec enthousiasme et convivialité. Le design thinking permet de générer des idées nouvelles et de les tester rapidement, de faire coopérer des gens que tout sépare (les clients, les vendeurs, la production, …) et d’utiliser les points de vues différents (et tous justes) pour produire des solutions qu’aucun n’aurait pu produire seul.

Dans son Mémoire de Mastère Spécialisé « Innovation By Design » (ENCI), Tiphaine GAMBA cite les propos de Jean-Philippe ARNOUX, ancien directeur Marketing de Lapeyre lors d’une conférence sur le design thinking organisée par le Cnam début 2016 :

J’ai appris à penser différemment, de façon plus pragmatique, à aller à l’essentiel, à penser cahier des charges usages plutôt que technique. Avant le marketing, c’était du push. Avec cette démarche, on part de l’usager. On peut être amené à leur présenter de petites maquettes. C’est très valorisant de co-concevoir de façon concrète et utile. C’est très itératif. J’ai aimé le pragmatisme implacable de la méthode. Cela donne des produits assez étonnants, en avance sur leur temps. On découvre de multiples possibilités d’usages, cela nous amène à repenser notre métier. Le design thinking permet aussi une belle économie d’échelle. Les arguments marketing, c’est l’usager qui les donne. La partie aval de la chaîne est simplifiée. En 6 mois, on a chamboulé beaucoup de choses. Avant pour faire la même chose, cela mettait 2 ans. Et puis, il y a la dimension humaine qu’on met dans le produit. C’est un développement produit moins désincarné que celui que je faisais avant.

Dans cette citation, j’adore particulièrement « Les arguments marketing, c’est l’usager qui les donne« . Pour un changement ou une innovation, en interne ou en externe, lorsque c’est l’usager qui vous donne les arguments, vous avez peu de chance d’échouer !

Pour en savoir plus sur le Design Thinking

Ajout du 12/12/2016 :

Et en anglais

Et maintenant ?

Je suis de plus en plus convaincue que la démarche Design Thinking mérite d’être utilisée pour que les PME et TPE trouvent une manière sécurisante, efficiente et efficace de développer de nouvelles manières de faire, aussi bien à l’intérieur de l’entreprise qu’à l’extérieur. Mais jusqu’à présent, je ne voyais pas bien comment la mettre en oeuvre.

Il aura fallu que je suive une formation de codéveloppement professionnel (dont je parlerai dans un prochain article) pour comprendre vraiment comment le Design Thinking peut être utilisé pour créer de nouveaux modes d’organisation interne.

 

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