Lors d’une conférence récente à Brest sur le lean management, nous avons parlé de la possibilité de déployer seul le lean dans son organisme, sans aide extérieure. C’est évidemment possible lorsque le dirigeant ou le manager lean ont beaucoup d’expérience et de charisme, de capacité à entraîner les autres. Les réussites sont cependant très rares car il manque une ressource essentielle, celle qui va permettre de prendre du recul, qui va faire en sorte que chacun retrouve une capacité à questionner, à s’émerveiller et à découvrir comme un jeune enfant.

Dans un article précédent, j’ai raconté l’expérience de la refonte complète du processus de fabrication du thon pour la conserve. Sans aide extérieure, nous n’aurions pas pu regarder autrement la ligne existante et en voir les défauts criants. Sans aide extérieure, nous n’aurions pas su quelle méthode employer pour concevoir une nouvelle installation et nous aurions privilégié une approche technologique au lieu d’être guidés par la valeur apportée au client.

Citons quelques exemples d’améliorations menées par des équipes internes dans des entreprises que je connais :

  • Un très beau robot, très rapide et très cher, est utilisé pour transférer des groupes de production de froid d’une ligne à une autre. Sa présence remédie aux difficultés posées par deux systèmes de convoyage incompatibles.
  • Un grand stockeur a été installé en bout de ligne de joints de portes. Les machines de la ligne ne sont pas équilibrées et les personnes du conditionnement manuel se retrouvaient soit avec rien à faire, soit trop. L’installation, dont tout le monde est très fier, n’a donc comme raison d’être que les défauts de conception de tout ce qui la précède.
  • Une installation de découpe automatique a été achetée car elle est très rapide. Elle contraint à fabriquer par lots de dix. Des mesures précises démontrent que les machines semi-manuelles présentes dans l’entreprise sont au moins aussi rapides (délai et temps de travail opérateur). Elles ont en plus le mérite de pouvoir facilement travailler à l’unité et facilite donc la gestion des flux amonts. C’est pourtant toujours la machine automatique qui est saturée, car elle a coûté cher.

Dans ces trois exemples, un investissement coûteux a permis de maintenir une action qui n’apporte pas de valeur aux clients, un « gaspillage » en lean. Les directions sont souvent attirées par des machines sophistiquées plutôt que par de l’analyse de flux. Il est donc souvent nécessaire de bénéficier d’un regard extérieur pour investir au plus juste et ne pas générer de nouveaux coûts sans valeur pour les clients.

Particolare della ragnatela (Barcelona 2010)

Tisser des liens entre les choses, questionner, découvrir : le rôle de l’éclaireur de possibles

Dans une lettre de Jim Womack, (« shopping for the sensei« ) , je n’en ai pas trouvé de bonne traduction), cet inventeur du concept de lean explique qu’il faut cependant se demander si on veut un expert ou un révolutionnaire. Le premier vous aidera à appliquer des techniques spécifiques face à des problèmes spécifiques (par exemple 5S ou travail standardisé pour ceux qui sont experts en processus, cartographie des flux (VSM) pour les experts en flux). Le second, un spécialiste « kaikaku » vous fera voir autrement votre organisme, vous contraindra à revoir tout ce qui vous semble évident et sera un agitateur d’idées et de concepts.

L’expert n’est pas indispensable au déploiement du lean dans votre organisme si vous maîtrisez bien les techniques spécifiques requises. Le révolutionnaire, que nous pourrions appeler « éclaireur de possibles », est essentiel pour créer le bouillon de culture qui va déboucher sur de véritables avancées organisationnelles et managériales.

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